POV Lili.
Un jour sans lendemain ?
Je regarde ma valise sur mon lit. Oserais-je partir ?
Je sors de la chambre et me dirige vers notre pièce. Te souviens-tu, mon amour, de notre première journée ensemble dans cette maison ? Moi, je m’en souviens. La première chose que nous avons faite c’est de venir ici pour voir si mon piano était arrivé. Il y était. Nous nous sommes assis devant et nous avons joué à deux mains. C’était magnifique. Magique. Un moment gravé dans ma tête. Les notes dansent encore en fond sonore et emplissent mon cœur de ce « je ne sais quoi » qui me donnait le sourire avant. Tu es avec tes amis dans votre salle d’enregistrement. J’entre dans notre pièce. Le piano est là. La salle est de taille moyenne, avec des tas de coussins un peu partout, de toutes les couleurs, des voiles multicolores cachent cette pièce aux regards extérieurs. Je m’assieds devant l’instrument. Il a un peu pris la poussière il me semble mais depuis combien de temps ne nous nous sommes pas assis devant lui ? J’appuis sur une touche. Un son en sort. Mon cœur vibre. Mes yeux se ferment.
Mes mains jouent une mélodie. La tienne. Il manque ta voix mais elle résonne dans ma tête.
Tu dis que tu n’es pas un héros. Tu dis que je dois me relever seule.
Je ne retournerai pas là-bas. Je refuse. Et si je dois m’ouvrir le cœur et le jeter à tes pieds alors je le ferai. Si je dois verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour toi, donne-moi ce couteau que je me tranche les veines.
Je ne peux plus rien y faire. Toi non plus. Que tu le veuilles ou non, mon cœur est en toi. Mon âme vibre à la tienne. Mon passé tatoué dans mon corps, circulant dans mes veines, blessant mes yeux, me tuera un jour mais pas aujourd’hui, ni demain.
Je me souviens de tes sourires, de tes mains posées sur mon corps, de ton souffle dans le mien, de nos corps se trouvant. Je me souviens de nos promesses silencieuses.
Mais ce jour de pluie aussi.
Tu savais ce jour-là que mon cœur t’appartiendrait à jamais.
Prends-le ! Brise-le ! Brûle-le ! Qu’importe mais garde-le dans tes mains.
Tout ce que je demande c’est de ne pas me laisser retourner là-bas.
Ne laisse pas les ténèbres m’envahir à nouveau. Le diable est trop proche de ma porte. Les flammes lèchent déjà ma peau. S’il reste une infime parcelle d’amour en toi, ne les laisse pas m’approcher. Protège mon cœur d’eux.
Je t’en pris. C’est ma seule demande.
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POV Linke.
Je m’arrête de parler en entendant une mélodie. Les autres me lancent des regards étranges. Je sors de la salle d’enregistrement.
Ma Lili… Tu es assise devant notre piano, dans notre salle. Les sentiments m’envahissent à nouveau. Notre premier jour en ces murs. Nos promesses volées entre deux courses à la montre. Tu joues « no tomorrow » de tes doigts fébriles. Depuis combien de temps n’as-tu plus touché à cet instrument que tu aimais tant ?
Crois-tu vraiment que notre histoire s’arrête ici, mon amour ? Ne te souviens-tu pas de nos jours ensemble ? De nos rires ? De nos larmes ? De nos rêves communs ?
Chaque mot est gravé en moi au fer rouge.
Tes doigts… le son de ce piano me soufflent que tu te souviens de tout et que tu pries.
A qui s’adresse ta complainte qui fend mon cœur ? Pour qui joues-tu aussi désespérément ? Est-ce un appel à l’aide muet ? Est-ce un appel à l’espoir ?
J’entre dans la pièce quand tu donnes les dernières notes. Tu déposes tes mains sur tes cuisses. Tu regardes le sol, les yeux dans le vague puis relève la tête vers moi. Nos regards se croisent et s’accrochent.
Tu ne veux pas retourner là-bas. Je le vois. Crois-tu que je veuille voir les ténèbres t’envahir à nouveau ? Nous avons eu tellement de mal à t’en sortir. Moi. Les autres. Ce n’est pas pour te laisser y retourner. Crois-moi !
Le diable peut toquer, je n’ouvrirai pas. Tu resteras près de moi.
Je m’approche et m’assis à ta droite. Tu es retournée à la contemplation de tes pieds nus. Je prends ta main dans la mienne. Tu es gelée. Moi, je sais que j’ai la peau extrêmement chaude. Est-ce parce que tu manques de vie que tu es froide même en été ? Et moi ? Suis-je trop vivant ?
L’excès est un signe de faiblesse, Lili. Tu n’as jamais été excessive dans ta vie. Tu n’as jamais voulu autre chose que ce que tu avais dans tes mains. Je t’ai reproché cela. Pourtant c’est ce qui me plait chez toi. J’aime ta façon de voir le monde : calmement, lentement. Un regard droit et juste qui n’a pas un défaut si ce n’est positiver sur l’être humain. Tu es pourtant bien placée pour savoir que les humains sont injustes les uns envers les autres. Tu as été leur première victime.
Regarde-toi ! Crois-tu encore en eux ? Oui. Mais tu ne crois plus en la vie.
Je trouve cela injuste et je ne sais comment faire pour que tu le comprennes. Tu ne peux pas te tuer à cause d’eux. Tu ne peux pas m’abandonner pour eux. Je n’y croirai plus. Je ne veux pas.
Mes doigts touchent le piano et jouent pour toi. Comprends ce que je ne sais pas formuler.
Dis-moi que rien n’est perdu.
Dis-moi que nos vies ont encore un point commun.
Le temps n’est pas perdu pour nous. Il nous reste encore bien des années.
N’abandonne pas ce que je t’offre.
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POV Lili.
Les jours ont passé. Je suis toujours là. Assise sur notre lit. Tu es parti quelques temps pour un ou deux concerts avec les autres. Il ne reste que moi dans cette immense maison. Je parcours pièce me souvenant de nos moments passés dedans.
Pourquoi ne puis-je pas oublier ? Pourquoi la nuit m’enveloppe-t-elle-même le jour ?
On n’a pas cru en moi. Tu as été le seul. Et encore. Parfois, je voyais tes yeux me regarder avec incertitude comme si je n’allais jamais me relever.
Tu m’as sauvé d’une vie de souffrance. Tu m’as tiré de mes ténèbres.
J’aimerais que tu ne t’en ailles jamais. J’aimerais nous enfermer dans un cocon loin de tout.
Linke… Je regarde notre chambre dans la nuit. J’ouvre les volets. Les fenêtres. Les tentures. Je cours à travers la maison pour tout ouvrir. Il faut aérer tout cela. Je ne ressens plus aucune odeur. Je n’arrive pas à reprendre pieds.
La pleine lune éclaire notre jardin. Nous y avons planté des roses, des camélias et cet arbre que j’aime par-dessus tout : le Lilas. Mauve. Blanc. Bordeaux. Ils sont là devant moi, fleuris, embaumant l’air. Mais je ne les sens pas. Je n’y arrive plus.
Je me souviens qu’un jour, pour me faire plaisir, tu es allé chez la voisine, couper des branches sans le lui dire. Tu as dû détaler comme un lapin parce qu’elle avait essayé de te tirer dessus en te prenant pour un voleur. Je souris à ce souvenir.
Je rentre dans notre salon. Je vois les photos étalés sur les murs. Je ne reconnais plus rien du tout. Chaque photographie est comme un rêve figé.
Je m’assis sur un fauteuil, les jambes repliées sous moi, ma tête en arrière. Tout est chaleureux ici. Pourtant le froid m’a envahi. Le téléphone sonne. Je ne décroche pas. C’est ta voix qui résonne dans la maison.
Ta voix… Je ferme les yeux en l’écoutant. Chaude. Douce. Ferme. Promesse de tellement de bons moments.
Tes yeux… Je les vois encore me fixant. Il y a tellement de choses qui se reflètent dedans.
Un sourire se dessine sur mes lèvres.
Tu es l’incarnation de la douceur, Linke. Sans aucun doute.
Toujours calme, sûr, une épaule sans failles.
Je me lève en soupirant. Je tourne sur moi-même.
C’est notre maison.
La nôtre !
Quand tu n’es pas là, je la sens tellement vide. Je ne me souviens plus de rien que nos moments passés.
Je soupire une nouvelle fois et vais vers notre chambre. Je me couche dans notre lit.
Ton odeur est encore à ta place mais les draps sont froids.
Que disais-tu dans ton message ? Je me lève en sursaut, descends les marches quatre à quatre et presse le bouton « play » de l’enregistreur. Ta voix raisonne mais cette fois, j’entends tes mots. Les larmes perlent à mes yeux.
Pourquoi dis-tu ces mots ?
Je te manque vraiment ?
Tu penses à moi autant que moi à toi ?
N’y a-t-il vraiment personne d’autre que moi ?
Je monte et m’habille. Il est deux heures du matin. Je sors un sac en bandoulière avec des vêtements de rechange. Ne t’en fais pas, j’ai tout refermé avant de partir. Il n’y a que la fenêtre de notre chambre ouverte. Je n’ai pu me résoudre à la fermer. Une petite porte ouverte sur notre avenir incertain sans doute. Un taxi m’emmène.
Si seulement je pouvais être une autre personne. Tu serais plus heureux. Je voudrais être comme toi, plus forte et déterminée à mener ma vie comme je l’entends.
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POV Linke.
Je raccroche le téléphone.
Où es-tu allée ? Tu n’as pas décroché. J’ai appelé trois fois en une heure. J’espère que tu es toujours dans notre maison.
Je t’imagine endormie dans notre lit, seule. Si tu savais comme je regrette mais je ne peux pas faire autrement. Ma passion, je dois la vivre. Je ne peux pas aller contre ça. Ca serait me suicider. Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu le savais depuis le début. M’en veux-tu ?
Je compose ton numéro de portable. Il sonne dans le vide me broyant le cœur.
As-tu pris ta décision ? Es-tu repartie là-bas ? Je plonge mon visage dans mes mains. Une pression me fait lever la tête. David me sourit. Oui, je dois être fort pour nous. Tu n’as pas pu partir. Je le saurai. Tu es loin d’être lâche. Tu me l’aurais dit.
Nous montons sur scène. Nous jouons. Nous donnons tout ce que nous avons au fond de nous.
Moi… Je reste un peu en retrait. Je ne veux pas donner à ces inconnus ce que tu fais vivre en moi. Je ne veux pas qu’ils me le prennent. Je t’imagine derrière cette barrière. Tes grands yeux chocolat posés sur moi. Ton sourire encourageant. Ma vision de toi la première fois que tu es venue à un de nos concerts. Tu ne sautais pas. Tu ne criais pas. Tu souriais chaleureusement. Tu nous regardais attentivement. Tu profitais de notre musique et tu la vivais à l’intérieur. Ca se voyait. Ca se ressentait.
Tu irradiais Lili.
J’aimerais revivre ça. J’aimerais te revoir comme ce jour-là.
Pourrais-je un jour te faire irradier à nouveau ? Je l’espère mais une part de moi veut abandonner, tu sais.
J’ai peur, au fond, que ta nuit ne m’enveloppe aussi et que je te perde à l’intérieur d’elle.
Ca fait deux jours que je suis loin de toi. Tu n’as toujours pas répondu au téléphone.
Ou es-tu ? Que fais-tu ?
L’angoisse s’enroule autour de moi et m’étouffe. Es-tu partie sans moi ?
J’aurais dû…
Non ! Je dois te parler. Je dois te dire tout cela face à face.
Tu dois savoir ce qui me ronge.
Si je continue comme ça, il ne restera rien de toi et moi. Rien de nos souvenirs. Rien de nos rires. De nos larmes.
Je ne peux pas admettre ça. Je refuse !
Je me lève, surprenant les autres. Je ne les regarde pas et me dirige vers la porte.
Si tu refuses de me parler, je t’obligerai à m’écouter.
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Linke ouvrit la porte à la volé et resta ébahie en face d’une Lili à bout de souffle.
« Je… » Commença-t-elle à sangloter. « Je ne veux plus être toute seule. Je ne veux plus que tu me laisses seule. »
Elle plongea son regard dans le sien. Linke sentit tout son être se noyer dans ses yeux. Il sourit légèrement puis la prit dans ses bras.
« Je sais que ta vie, c’est la musique. Quoiqu’il se passe, elle passera avant le reste mais permets-moi de rester dans son ombre. »
Il resserra sa prise.
« Tu ne comprends pas ! » Lui souffla-t-il. « Tu n’es pas la musique. Tu es toi. Tu n’es pas dans son ombre. Tu fais partie de ma vie. La nuit ne te prendra pas à moi. Tu ne retourneras pas là-bas. Je suis là. »
Elle sourit en pleurant dans ses bras. Linke essuya ses larmes du bout des doigts.
Par ce geste, il effaçait les derniers vestiges d’un passé trop lourd pour des épaules trop fragiles.
Par ce geste, il scellait leur avenir.
Non, il n’y aurait pas de lendemain sans l’un et l’autre.
Il y aurait un futur.
Un jour, le monde se rendrait compte que la voix de Linke est unique mais qu’il ne s’agit pas d’un don à la terre entière, juste à une personne.
Un visage… Un sourire… Un corps… Quelqu’un d’unique à ses yeux
FIN....
Alors? pas trop usé de mouchoirs! ca finit bien hein?